
Dans son livre « The Hacking of the American Mind » (2017), le docteur Robert Lustig décrit les différences fondamentales entre plaisirs et bonheur. Il démontre de manière scientifique que la quête de plaisirs augmente l’addiction et nuit à notre bien-être. Cocaïne, opiacés, nicotine, alcool, paris sportifs, casino, sexe, réseaux sociaux, smartphone ou aliments sucrés sont autant de plaisirs à la mode qui rendent accros et malheureux quand on en abuse. Heureusement, des solutions existent pour retrouver le chemin du bonheur.
Quête de bonheur ou vie de plaisirs ?
Le bonheur est cet état émotionnel que nous essayons tous d’atteindre, tel un but suprême, un nirvana. Une société qui part désespérément à sa quête mais qui est en fait devenue une quête aux plaisirs. De courte durée, matériel, impulsif, solitaire, l’excès de plaisir mène à l’addiction. Les publicitaires l’ont bien compris en essayant de nous vendre en réalité des « shoots » quotidiens de plaisirs à haute dose, en nous le présentant comme du « bonheur ». Ils hackent nos cerveaux en le pervertissant, en le conditionnant. Ils ont contribué de façon déterminante à renforcer et diffuser notre culture consumériste. Nous nous sommes retrouvés piégés et conditionnés par la profusion de plaisirs fugaces.
Le bonheur, lui, est de longue durée. Il ne rend pas accro. Il est lié au contentement, à la plénitude, à la spiritualité, aux interactions sociales dans la vie réelle. Philosophe de l’antiquité grecque (384-322 AVJC), Aristote décrivait déjà parfaitement cette différence fondamentale. Selon lui, « le bonheur est le but de la vie humaine, le bien suprême. Il est un bien qui n’est pas fourni par l’extérieur mais qu’on doit trouver en soi-même, dans sa propre activité. »
Robert Lustig a le mérite de remettre enfin ce thème au coeur des débats en décrivant cette différence fondamentale entre plaisirs et bonheur, preuves scientifiques à l’appui. L’endicronologue y décrit notamment le rôle essentiel de deux neurotransmetteurs : la dopamine et la sérotonine.
Robert H. Lustig est un endicronologue pédiatrique américain à l’Université de Californie. Il est devenu célèbre grâce à ces ouvrages sur le sucre qu’il considère comme une drogue au même titre que la nicotine, l’alcool, etc. Il y consacre d’ailleurs une bonne partie dans « The Hacking of the American Mind » quand il dénonce l’excès de sucre dans les aliments transformés et son effet addictif sur les consommateurs, source de boulimie plus sévère, de dépression et de mal-être.
Le cercle vicieux de l’excès de dopamine
La dopamine est une substance chimique qui sert de neurotransmetteur dans le cerveau. La consommation de drogues stimule la libération de dopamine, les neurones sont ainsi excités. Selon un article du blog « Biosphère » : « lorsqu’un neurone est chroniquement sur-stimulé, il a tendance à mourir. Sous les assauts constants de la dopamine, il peut « éteindre » certains de ses récepteurs pour atténuer son excitation et éviter la mort. Du coup, pour produire le même effet, il faut une quantité supérieure de neurotransmetteurs. Dans le cas particulier de la dopamine cela signifie qu’il faut toujours plus de plaisir intense pour obtenir la même satisfaction. » Ce qui mène à l’addiction.
Robert Lustig précise : « Que l’on soit bien d’accord: la dopamine est nécessaire à la survie des espèces. […] La récompense, c’est ce qui nous pousse à agir : si nous n’aimions pas la nourriture et le sexe, nous ne mangerions pas et ne nous reproduirions pas. […] Mais quand la récompense devient notre but premier, elle fait le lit de l’addiction, qui est l’exact opposé du bonheur« .
Autre dommage collatéral : cette addiction augmente notre stress dû par exemple à un manque de sommeil. Cela se traduit par une augmentation du taux de cortisol, cette hormone habituellement nécessaire en cas de danger mais destructrice pour notre organisme quand elle reste sécrétée de manière permanente. Ce qui génère ainsi un stress chronique, incompatible avec notre quête du bonheur car inhibiteur de production de sérotonine.
« Le plaisir est éphémère, le bonheur dure longtemps. Le plaisir est viscéral, le bonheur est éthéré. On « prend » du plaisir mais avec le bonheur, on donne. On a du plaisir en consommant des substances mais ces dernières ne rendent pas heureux. Finalement, le plaisir se vit seul, alors que le bonheur se vit généralement en groupe. […] Plus vous rechercherez du plaisir, plus vous serez malheureux. »
Robert Lustig, endicronologue américain
La sérotonine, neurotransmetteur du bonheur
Le neurotransmetteur impliqué dans le sentiment de plénitude et de contentement, la sérotonine, a un fonctionnement beaucoup plus complexe que la dopamine. C’est un inhibiteur donc il n’excite pas les neurones. Il dure plus longtemps que l’effet dopant de la dopamine. Selon l’endicronologue, « c’est le sentiment de ne faire qu’un avec le monde ».
Le neuroscientifique Pierre-Marie Lledo, interrogé par l’Express, ajoute : « il agit sur notre capacité à agir face à l’adversité, mais aussi à donner du sens au changement, à pouvoir se projeter dans l’avenir tout en simulant les conséquences positives de nos actions présentes sur notre futur.«
Lors d’une interaction sociale avec quelqu’un, l’échange de regards active les neurones de l’empathie et la synthèse de sérotonine. Mais si cette interaction se fait par le biais d’un réseau social comme Facebook, à travers les « likes » par exemple, elle active le circuit de la récompense et baisse notre niveau de sérotonine, ce qui nous éloigne du contentement.
Quand nous sommes heureux, nous n’avons pas besoin de stimulation, nous nous contentons de ce que nous avons, de ce que nous sommes, de quelques phrases échangées avec le voisin, du travail dans son potager, de l’amour avec son conjoint.

La reconquête du bonheur
Le PIB est un indicateur phare de la santé économique d’un pays. Or, le bonheur n’influe pas sur celui-ci car il n’a aucun lien avec l’achat, la dépense, la consommation et la production. Il mesure donc uniquement un pan de la santé d’un pays en éludant totalement la santé spirituelle de l’individu.
Pourquoi les gens ont-ils toujours l’air plus souriants et plus heureux dans les pays moins développés ? Cette question, on se la pose souvent quand on va faire du tourisme dans un pays pauvre dans nos avions chargés de kérosène. Une phrase résume à elle seule ce phénomène, le célèbre slogan « Moins de biens, plus de liens« . « L’explication principale du paradoxe du bonheur est que les effets positifs sur le bien-être, fruits de l’amélioration des conditions économiques, ont été annulés par les effets négatifs d’une dégradation des relations humaines. » (Manifeste pour le bonheur, Stefano Bartolini).
Dans son livre « The Hacking of the American Mind », Robert H. Lustig propose 4 piliers pour fuir nos addictions et retourner sur le chemin de notre quête du bonheur.
Connect – Créer du lien
Selon le docteur Lustig, nous devons rétablir de vraies relations, dans la vie réelle, et réduire nos interactions sur les réseaux sociaux, les emails, ou tout autre lien que nous utilisons trop souvent pour remplacer la rencontre. Selon lui, « quand nous interagissons avec quelqu’un en face à face, nous captons les émotions de la personne avec qui nous discutons. Cela génère l’empathie et l’empathie est nécessaire pour produire de la sérotonine. » Cela passe donc pas plus de liens sociaux.
Contribute – Contribuer
« Contribuer à quelque-chose de plus grand que soi favorise la production de sérotonine. Cela ne doit pas être à des fins personnelles mais pour le bénéfice de nos enfants, de notre famille, d’amis, ou pour n’importe quelle autre personne. Gagner de l’argent seul, ce n’est pas contribuer. Mais nous pouvons obtenir du contentement de notre travail si nos collègues se rendent compte à quel point ce travail fait du bien aux autres, et donc à nous. »
En dehors du travail, on peut également penser à la charité, aux donations, au bénévolat, qui sont également des « boost » de sérotonine et nous procurent donc du contentement.
Cope – Prendre soin de soi
Robert Lustig insiste sur l’importance de notre sommeil. Pour éviter toute augmentation du stress chronique (voir ci-dessus), il est important de dormir assez chaque nuit. Pour cela, la première chose à faire est de ne pas emmener son smartphone avec soi dans la chambre.
Il met aussi en exergue cette mode du multitasking (faire plusieurs choses à la fois). Selon lui, seulement 2,8% de personnes savent faire du multitasking. Pour les autres, augmenter le nombre de choses à faire créé simplement une augmentation de stress car nous devons passer d’une tâche à une autre sans arrêt. Nous devons donc réduire la cadence et prendre le temps. La méditation est une solution pour calmer son esprit et vivre le moment présent en réduisant son stress.
Enfin, l’exercice physique est primordial. Non seulement faire du sport réduit le taux de cortisol dans son corps et donc nous détend, mais cela soulage également les symptômes de la dépression, de manière bien plus efficace que des médicaments.
Cook – Cuisiner
On ne devrait pas négliger notre façon de nous alimenter. Pourtant, à force de consommation de produits transformés, de produits bas-de-gamme et pas chers, nous n’apportons plus tous les nutriments essentiels à notre corps. Aux Etats-Unis, 33% des gens ne savent pas cuisiner. Un chiffre incroyable pour une tâche qui devrait être innée et indispensable. Or, les gens qui ne savent pas cuisiner sont dépendants de l’industrie agro-alimentaire toute leur vie. Les plats sont surdosés en sucre et cela crée des manques et des addictions.
Le tryptophane est un acide aminé précurseur de la sérotonine. Il est l’un des plus rares acides aminés consommé dans le régime alimentaire occidental. On le trouve notamment dans le riz complet, les oeufs, les produits laitiers, la volaille, le poisson, les légumineuses. Mais comme nous consommons souvent des produits transformés, la teneur en tryptophane est quasiment nulle.
Selon le Docteur Lustig, la consommation d’oméga 3 est également très importante car il a été prouvé scientifiquement que ces acides gras polyinsaturés avaient un rôle positif dans notre taux de sérotonine. On le trouve en grande quantité dans les poissons gras sauvages notamment. Mais peu dans les poissons d’élevage car les omega 3 proviennent de ce que les poissons mangent.
Enfin, cuisiner est une action naturelle. Cela rend heureux. Alors pourquoi ne pas commencer un changement radical dès demain et inviter une connaissance que vous n’avez pas vu depuis longtemps en lui faisant un bon plat riche en tryptophane, en omega 3 et pauvre en fructose ?