Le bruit artificiel n’a jamais été aussi présent dans nos vies. A mesure que la société accélère sa croissance de manière effrénée, il est désormais difficile de trouver un endroit sur Terre vierge de toute pollution sonore. Source de maux et de stress, elle apporte inconfort, gêne et irritation à ceux qui doivent y faire face de manière régulière.

Le bruit est devenu la deuxième source de nuisance, juste derrière la pollution atmosphérique. Pourtant, il reste le parent pauvre des politiques environnementales et causerait plus de 10 000 décès prématurés par an en Europe (crises cardiaques et accidents vasculaires cérébraux notamment). En France, près de 9 millions d’habitants seraient très exposés au bruit des transports, soit plus d’un Français sur 8, un chiffre particulièrement élevé. En Suisse, selon un sondage de l’Institut gfs-zürich, plus de la moitié des habitants pense qu’il faudrait davantage de mesures pour lutter contre le bruit et près d’un quart des personnes interrogées trouve que le bruit influe négativement sur leur vie.

Nos oreilles quotidiennement en souffrance

Dans une société sans cesse en progrès scientifique, en mouvement permanent, en recherche de solution de rendement, de vitesse et d’efficacité, nous créons des machines capables d’exécuter un travail plus rapidement. Problème : la quantité de bruit émis n’est jamais perçue comme un critère à réguler ou à bannir. De ce fait, nous développons des engins qui dégradent notre qualité de vie, notre faculté à entendre et à discerner les sons naturels. Nous avons accepté une dérégulation de notre sensibilité sonore, l’un de nos sens vital.

Nous avons assimilé une source de stress chronique, responsable de nombreuses complications dans notre corps. Certains ne remarquent même plus qu’ils baignent quotidiennement dans un bruit artificiel permanent.  Car le problème n’est pas tant de subir un bruit en particulier, mais c’est surtout de s’exposer à  l’enchainement permanent de nuisance tout au long d’une journée. Il est désormais temps de réagir et de penser – enfin – à notre bien-être ainsi qu’à celui de notre entourage.

Le « bruit artificiel » désigne tout bruit lié à l’activité humaine, par opposition au bruit naturel. L’exemple le plus courant est la génération sonore que peut émettre un moteur à explosion et combustion d’un véhicule ou des frottements liés à la vitesse de celui-ci. On peut également citer les outils de travaux publics pour la création ou la réfection d’infrastructures et de bâtiments (marteau-piqueurs, burineurs, perceuses) et les engins de nettoyage communaux (camions poubelle, souffleuses, véhicule nettoyant les routes)

Hasard ou probabilité grandissante ?

Quand on est victime de nuisance sonore, le premier réflexe est de dire : « ce n’est pas de chance », « pourquoi y’a-t-il des travaux juste au moment où je visite cette ville ? », « pourquoi y’a-t-il des travaux dans mon immeuble juste quand j’emménage » ? On relie ce désagrément à une malchance personnelle alors que la nuisance est simplement liée à de la probabilité mathématique : statistiquement, il y a de plus en plus de chances que l’on soit confronté à un stress sonore au courant de la journée.

Plusieurs raisons à cela : l’augmentation du nombre de véhicules à moteur à combustion, des travaux de voirie toujours plus fréquents, des travaux de maintenance d’envergure en nette progression (exemple : réfection d’un appartement pour en augmenter son loyer), ou encore une exigence de rendement toujours plus importante (outils à moteur pour accélérer le travail effectué comme dans l’agriculture intensive).  Même à la montagne, il devient de plus en plus compliqué de trouver un endroit où le calme absolu règne, avec l’augmentation du nombre de vols d’avions de ligne, de tourisme ou de chasse.

© Nabeel Syed – Unsplash


Moteurs à combustion et infrastructures routières

Les véhicules avec moteur à combustion sont la principale source de gêne pour les habitants d’une ville ou d’une rue directement exposée à une route passante. Ces véhicules dominent le paysage citadin. Camions et motos se disputent la palme du plus bruyant. Vivre le passage d’une cinquantaine de Harley-Davinson devant soi est par exemple un moment assez traumatisant pour nos oreilles. Les moteurs trafiqués de scooters augmentent le volume sonore sur les routes. Parfois, un cycliste souhaitant se déplacer en ville doit subir un concert de décibels (démarrage, klaxons, mobylettes qui dépassent). 

Plus à l’écart, les autoroutes ont modifié le paysage de nos campagnes. Mais surtout, elles ont changé la perception sonore des locaux habitant dans les alentours. En Suisse, une ordonnance fédérale sur la protection contre le bruit avait été adoptée en 1987 pour exiger un réaménagement des routes principales contre les nuisances sonores. Pourtant, un Suisse sur cinq reste exposé à du bruit routier dépassant la norme en 2018, un constat d’échec retentissant et un signe d’impuissance face à ces excès.

Des murs anti-bruit ont été mis en place progressivement près des zones habitées. Une solution qui, si elle améliore parfois très légèrement la gêne subie, représente un gaspillage financier énorme dans de nombreux cas. Par exemple, elle est notamment totalement inefficace dans une région vallonnée. Le bruit monte et dépasse sans trop de difficulté la hauteur des murs. Plus généralement, on cherche à mettre en place des solutions visant à atténuer les conséquences de nos modes de vie plutôt qu’à s’attaquer à ses causes. Ce qui provoque un coût financier abyssal, sans cesse en augmentation, et qui cause un déclin de motivation des sphères publiques pour améliorer la situation.

L’émission Temps Présent de la RTS (Radio Télévision Suisse) avait consacré début 2018 un dossier complet sur ce fléau contemporain :

Vevey, l’illustration parfaite d’une petite ville dominée par le bruit

Faites le test. Baladez-vous dans votre ville et constatez cette pollution sonore. J’ai tenté l’expérience. Voici quelques enregistrements sonores effectués lors d’une unique promenade à Vevey, une petite ville d’environ 20 000 habitants, en Suisse romande. Un cadre de vie unique, exceptionnel, entouré de montagnes, de vignes et au bord du lac Léman. 

Pourtant, cette ville illustre parfaitement les désagréments sonores découlant d’une région en pleine explosion démographique dans une société occidentale : une circulation qui devient difficile à réguler, des grues et des échafaudages à perte de vue, une densification urbaine en nette progression, une multinationale aux idées de grandeur infinies, un esthétisme visuel devenu trop prioritaire (apparence et maintenance des façades ou des rues) et une exigence de vitesse d’exécution toujours plus forte.

ATTENTION : les extraits ci-dessus peuvent être très agressifs pour vos oreilles, surtout si vous avez oublié de baisser le volume de vos enceintes 🙂

  • Extrait 1 : passage quasi quotidien des camions-poubelles. Très utile mais des moteurs bien trop bruyants.

  • Extrait 2 : réfection de terrasses en extérieur de bâtiment, nuisance prolongée pour le voisinage.

  • Extrait 3 : véhicule communal nettoyant la route et générant une très forte nuisance sonore.

  • Extrait 4 : un agent de la Ville, sans casque, regroupe les feuilles mortes à l’aide d’une souffleuse.

  • Extrait 5 : beaucoup de routes en réfection aux alentours. Les marteaux-piqueurs sont de sortie et c’est difficilement supportable.

  • Extrait 6 : un concierge utilise une voiturette pour tirer plusieurs conteneurs à déchets. Pratique mais stressant pour le voisinage.

  • Extrait 7 : Un autre concierge tond méthodiquement la pelouse devant un immeuble avec une tondeuse très bruyante.

  • Extrait 8 : un camion-citerne est positionné devant un immeuble afin de ravitailler en fioul le chauffage central. Le moteur gronde.

Multiplications de dérogations

Face à l’impuissance de répondre à la fois aux besoins des sociétés modernes et à la nécessité de réduire le bruit artificiel, de plus en plus de dérogations sont demandées par les pouvoirs publics ou privés. A mesure que nos villes se densifient, les communes deviennent dans l’incapacité de financer de tels investissements face au bruit. Elles demandent donc des délais pour respecter les normes, délais qui ne serviront à rien tant que la cause (la croissance vertigineuse de notre société) ne sera pas contrôlée.

De plus, il n’est plus rare d’observer et surtout d’entendre des travaux le samedi (construction, voirie, travaux de bâtiments) alors que ce n’était pas autorisé par le passé. Par tous les moyens, les entreprises cherchent des solutions pour augmenter la cadence et respecter des plannings de plus en plus absurdes, au détriment de la qualité de vie des habitants et des employés. Parfois, il arrive même de constater des travaux nocturnes, afin de ne pas fermer des routes passantes la journée et donc de ne pas froisser les conducteurs stressés de l’heure de pointe. Les riverains, eux, peuvent bien souffrir un peu.

De nombreuses dérogations sont données aux compagnies d’avions pour décoller et atterrir la nuit, alors qu’une réglementation stricte existe à ce sujet. L’aéroport de Genève accueillait 15 millions de passagers par an en 2016 et en accueillera 25 millions en 2030, soit 650 vols par jours, un toutes les 90 secondes. Des chiffres affolants, même si les nouveaux avions sont moins bruyants et devraient adoucir la courbe du bruit dans le futur.

© Josue Isai Ramos Figueroa – Unsplash

Banalisation du bruit

On assiste à une banalisation du bruit. Quand des gros travaux de voirie ou de bâtiment ont lieu près de chez soi, il devient de plus en plus rare d’être prévenu et d’avoir un courrier précisant l’ampleur des désagréments. Comme s’il était devenu normal de vivre avec, comme si nous devions accepter ce « mal nécessaire », pour le bien de tous (sic).

Le respect du voisinage est une valeur parfois encore importante dans les quartiers. Les Villes tentent de sensibiliser les riverains avec des pancartes « respectez vos voisins, pas de bruit entre 22h et 7h ». On reste prompt à dénoncer en cas d’abus. Mais on est démuni quand les bruits viennent de la rue, quand même les communes ne respectent plus leur propre règle. Ou quand notre voisin prend sa moto vrombissante tous les matins à 5h30. Comment pourrait-on lui demander de ne plus l’utiliser pour aller à son travail  ? On accepte aussi parfois des situations compliquées à gérer face à son bailleur : a-t-on envie de se battre face à un climatiseur dépassant les normes sonores la nuit, quand on constate le déni du bailleur et la difficulté d’obtenir gain de cause ?

Plutôt que de ne pas faire de bruit la nuit et de respecter des normes à ne pas dépasser le jour, la règle a progressivement changé. Maintenant, la nuisance nocturne doit rester modérée alors que, la journée, il n y a plus trop de limite. En parallèle, de plus en plus de citadins ont des horaires décalés ou font du télétravail avec la modernisation des outils informatiques. Ils subissent donc des nuisances diurnes néfastes à leur repos ou à leur concentration sans pouvoir y faire grand chose. Finalement, on déroge de plus en plus à des règles essentielles, ce qui a provoqué une acceptation tacite et une réduction des périodes de relaxation auditive.

Quelles solutions pour diminuer cette pollution sonore ?

Bien sûr, il ne faut pas négliger quelques pistes d’améliorations que l’on peut voir apparaitre ici ou là. Réduction de vitesse la nuit, étude sur certains revêtements pour réduire le bruit des frottements, répression face au bruit de certains deux-roues : certaines actions sont entreprises même si elles restent localisées. La solution pourrait venir des moteurs électriques, annoncés comme le remplaçant des moteurs thermiques. Certaines villes transforment leur flotte de véhicule et commencent à intégrer des véhicules électriques. Des pays comme la Suisse développent activement le réseau ferré électrique avec des trains bien plus silencieux que dans le passé, aux frottements très discrets par rapport à d’autres pays.

La voiture électrique, une vraie solution ?

L’automobile électrique à batterie reste très critiquée, à juste titre. L’utilisation de métaux rares pour produire ces batteries électriques fait que la conception de ces voitures est polluante et néfaste pour les territoires dans lesquels ses métaux sont prélevés (en majorité en Asie). De plus, la pollution aux particules fines va perdurer avec cette flotte d’automobiles (frottements sur les routes et freinage). Enfin, l’augmentation attendue du nombre de véhicules favorisera une augmentation de la pollution globale malgré un bilan carbone inférieur.

Mais il reste un argument significatif et positif : leur confort sonore. En effet, pour ceux qui vivent dans des villes où les bus électriques sont utilisés (trolleybus notamment), le constat est sans appel : leur pollution sonore est bien plus faible que pour les bus à moteur thermique, même si les frottements restent présents.  Et il est bien plus agréable de marcher à côté sans être assourdi par le bruit du moteur. Si la voiture électrique est loin d’être la solution idéale pour une écomobilité (pour les raisons évoquées ci-dessus), elle va au moins améliorer notre confort auditif.

Problème : les véhicules électriques étant trop silencieux (sic), la Suisse a rendu obligatoire à partir de mi-2019 le fait que ce type d’automobile devra faire du bruit pour que les piétons, dont notamment les aveugles, anticipent leur passage. L’office fédéral des routes précise que ces sons seront beaucoup moins bruyants que les moteurs thermiques et ne devraient donc pas altérer le bénéfice de réduction de pollution sonore. Il ne reste plus qu’à trouver le compromis parfait pour que chacun y trouve son compte.

Actions à l’échelle individuelle

Que faire à l’échelle individuelle ? Les gros leviers d’actions restent dans les mains des décideurs à l’échelle d’un pays. Il reste difficile d’agir seul pour supprimer ces bruits d’un coup de baguette magique. Mais si chacun commence à agir et à contester la situation actuelle, cela ne peut que faire évoluer les choses. Une des solutions est un des fils rouge de ce site : le « slow living« .

Le but n’est pas de tout changer, d’inverser nos habitudes, de vivre dans l’austérité. Il est simplement temps de ralentir notre rythme de vie, de prendre conscience de ce qu’on fait et de ce que l’on a réellement besoin. Le but n’est pas de stopper, mais de ralentir, de diminuer, de moins gaspiller, de faire attention. De privilégier notre bien-être plutôt que la performance et le rendement. Et de permettre à notre cerveau, à nous, de retrouver une quiétude qui s’est transformée en stress permanent, dans le sens premier du mot « stress » : « une réaction de l’organisme à une agression, un choc physique ou nerveux. »

On peut par exemple commencer par se poser les questions suivantes : avons-nous besoin de mettre en route cette machine, ce moteur tous les jours alors que nos mains ou nos pieds peuvent parfois suffire ? Avons-nous vraiment besoin de prendre une voiture pour aller chercher du pain à la boulangerie ? Est-ce que la haie de notre jardin doit être tout le temps parfaitement coupée ? N’existe-t-il pas des appareils plus silencieux pour réaliser une tâche même s’ils sont légèrement moins efficaces ? Avons-nous besoin de consommer autant de produits qui proviennent de l’agriculture et de l’élevage intensif, qui provoque ces multiplications de machines pour améliorer rendement, vitesse, gain, rentabilité ? Ne peut-on pas vivre un jour par semaine sans outil qui automatise des tâches, sans moteur ?

Nos prises de décision influeront directement sur notre société et notre santé. Elle influeront sur notre entourage et nous aurons une meilleure hygiène de vie, une attitude plus mobile, plus sportive, plus créative et plus naturelle pour notre corps.

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